Préface du Dr Jean de Bonnefon
Délicieux insectes


 

Quand Bruno Comby m'a proposé de préfacer ce livre sur l'entomophagie ( du grec "entomos" qui signifie insecte et "phagos" qui signifie manger) j'ai d'abord cru à un canular. Mais le propre de tout esprit scientifique consiste justement à remettre en cause tous nos acquis pour faire de nouvelles découvertes, aussi bien dans le savoir théorique que dans ses applications pratiques. En ce qui concerne la santé, il peut être utile pour progresser de remettre en cause notre mode de vie et de prendre quelque recul par rapport à nos tabous culturels.

Après réflexion, l'idée de manger des insectes n'est pas saugrenue sur le plan médical. Peut-être est-elle même géniale sur le plan planétaire.

Aujourd'hui, plus d'un demi-milliard d'êtres humains souffrent de dénutrition, en particulier de carences en protéines ; avec la démographie galopante, on sait que le problème de la famine va encore augmenter à très court terme.

Plutôt que de considérer les insectes comme une plaie qui dévore nos réserves alimentaires, en particulier dans les pays les plus pauvres, et d'aggraver en outre la pollution de la planète en les combattant à coups d'insecticides chimiques, il me parait original et même très astucieux de les utiliser comme une possible ressource alimentaire. D'ailleurs, l'entomophagie n'est-elle pas inscrite en toutes lettres dans nos livres sacrés (Thora, Bible et Coran) ?

Les protéines alimentaires sont à la base de la construction de tous nos tissus. Ces protéines sont d'origine soit végétale, soit animale. Les protéines végétales, malgré leur qualité, ne sont pas toujours assimilables en totalité en l'absence d'acides aminés complémentaires. Leur transformation en protéines animales plus assimilables s'effectue dans les élevages traditionnels de vaches ou de porcs avec un très mauvais rendement. Les insectes sont des transformateurs beaucoup plus efficaces : le rendement est triplé. Ce d'autant plus que certains insectes comme les grillons sont omnivores et peuvent être nourris en grande partie d'aliments inconsommables pour nous, ce qui permet d'envisager une véritable écologie nutritionnelle.

Tuer le bétail pour le manger me parait un triple crime : contre l'animal, contre l'espèce humaine et contre l'intelligence dans la mesure où le bétail est nourri, avec un rendement d'ailleurs dérisoire, de protéines végétales souvent importées du tiers-monde, lui-même protéiquement dénutri. Il faut plus de 10 grammes de protéines végétales pour obtenir un seul gramme de protéine animale. De fait nous nous nourrissons donc de la famine des pays pauvres. En outre, nous en tirons beaucoup de souffrance nous-mêmes, puisque le cancer et l'athérome (obstruction des artères) qui à eux seuls constituent les trois quarts de la mortalité des pays développés sont en grande partie liés, on le sait, à la consommation de viande.

Les protéines d'insectes sont, à la fois en quantité, en qualité et en valeur biologique (capacité d'utilisation par l'organisme), d'un rendement égal ou supérieur à celui de la viande. De plus, les insectes sont quantitativement presque inépuisables. En effet, les insectes constituent les quatre-cinquièmes de toute la masse animale sur terre. On en trouve partout, même dans les régions les plus arides comme le Sahara. D'autre part, leur potentiel de reproduction en élevage est infiniment plus rapide que celle du bétail.

Les coutumes alimentaires actuelles de nombreuses tribus en Amérique, en Afrique et en Asie, ainsi que les multiples expériences de l'auteur prouvent que manger des insectes est une chose possible, les insectes étant même délicieux (insectes, oeufs d'insectes et larves).

Les insectes font d'ailleurs partie de la plage alimentaire ancestrale des hommes ainsi que de tous les primates dont nous sommes une branche. Tous les singes en mangent dans la nature. L'idée que nous puissions nous aussi en tant qu'espèce humaine en manger est donc une possibilité à prendre sérieusement en considération.

Dans le tiers-monde, qui souffre actuellement non seulement de carences nutritionnelles générales, mais surtout de carences spécifiques en protéines, les insectes sont d'ores et déjà une ressource alimentaire non seulement rentable, mais même indispensable et irremplaçable.

Le problème numéro un dans le monde reste celui de la faim. Pour le résoudre, nous ne devons négliger aucune voie. Dès maintenant, scientifiques, nutritionnistes, médecins et écologistes, nous devons tous nous pencher ensemble sur la recherche de nouvelles ressources alimentaires.

A mon avis, sur le plan médical, scientifique, économique, comme sur le plan moral, la réflexion de l'auteur ne doit donc pas être considérée comme un amusement intellectuel, mais comme une base de départ pour une nouvelle approche sur l'utilité des insectes dans l'alimentation humaine.

Dr Jean de Bonnefon
Docteur en médecine
Ancien Chef de Clinique à la Faculté de Médecine de Paris (C.H.U. de la Pitié-Salpétrière)
C.E.S. de nutrition clinique
Président-Fondateur de l'Association nationale des médecins naturothérapeutes français