Quand Bruno Comby m'a proposé de
préfacer ce livre sur l'entomophagie ( du grec "entomos" qui
signifie insecte et "phagos" qui signifie manger) j'ai d'abord cru
à un canular. Mais le propre de tout esprit scientifique
consiste justement à remettre en cause tous nos acquis pour
faire de nouvelles découvertes, aussi bien dans le savoir
théorique que dans ses applications pratiques. En ce qui
concerne la santé, il peut être utile pour progresser de
remettre en cause notre mode de vie et de prendre quelque recul par
rapport à nos tabous culturels.
Après réflexion, l'idée de manger des insectes
n'est pas saugrenue sur le plan médical. Peut-être
est-elle même géniale sur le plan planétaire.
Aujourd'hui, plus d'un demi-milliard d'êtres humains souffrent
de dénutrition, en particulier de carences en protéines
; avec la démographie galopante, on sait que le
problème de la famine va encore augmenter à très
court terme.
Plutôt que de considérer les insectes comme une plaie
qui dévore nos réserves alimentaires, en particulier
dans les pays les plus pauvres, et d'aggraver en outre la pollution
de la planète en les combattant à coups d'insecticides
chimiques, il me parait original et même très astucieux
de les utiliser comme une possible ressource alimentaire. D'ailleurs,
l'entomophagie n'est-elle pas inscrite en toutes lettres dans nos
livres sacrés (Thora, Bible et Coran) ?
Les protéines alimentaires sont à la base de la
construction de tous nos tissus. Ces protéines sont d'origine
soit végétale, soit animale. Les protéines
végétales, malgré leur qualité, ne sont
pas toujours assimilables en totalité en l'absence d'acides
aminés complémentaires. Leur transformation en
protéines animales plus assimilables s'effectue dans les
élevages traditionnels de vaches ou de porcs avec un
très mauvais rendement. Les insectes sont des transformateurs
beaucoup plus efficaces : le rendement est triplé. Ce d'autant
plus que certains insectes comme les grillons sont omnivores et
peuvent être nourris en grande partie d'aliments inconsommables
pour nous, ce qui permet d'envisager une véritable
écologie nutritionnelle.
Tuer le bétail pour le manger me parait un triple crime :
contre l'animal, contre l'espèce humaine et contre
l'intelligence dans la mesure où le bétail est nourri,
avec un rendement d'ailleurs dérisoire, de protéines
végétales souvent importées du tiers-monde,
lui-même protéiquement dénutri. Il faut plus de
10 grammes de protéines végétales pour obtenir
un seul gramme de protéine animale. De fait nous nous
nourrissons donc de la famine des pays pauvres. En outre, nous en
tirons beaucoup de souffrance nous-mêmes, puisque le cancer et
l'athérome (obstruction des artères) qui à eux
seuls constituent les trois quarts de la mortalité des pays
développés sont en grande partie liés, on le
sait, à la consommation de viande.
Les protéines d'insectes sont, à la fois en
quantité, en qualité et en valeur biologique
(capacité d'utilisation par l'organisme), d'un rendement
égal ou supérieur à celui de la viande. De plus,
les insectes sont quantitativement presque inépuisables. En
effet, les insectes constituent les quatre-cinquièmes de toute
la masse animale sur terre. On en trouve partout, même dans les
régions les plus arides comme le Sahara. D'autre part, leur
potentiel de reproduction en élevage est infiniment plus
rapide que celle du bétail.
Les coutumes alimentaires actuelles de nombreuses tribus en
Amérique, en Afrique et en Asie, ainsi que les multiples
expériences de l'auteur prouvent que manger des insectes est
une chose possible, les insectes étant même
délicieux (insectes, oeufs d'insectes et larves).
Les insectes font d'ailleurs partie de la plage alimentaire
ancestrale des hommes ainsi que de tous les primates dont nous sommes
une branche. Tous les singes en mangent dans la nature. L'idée
que nous puissions nous aussi en tant qu'espèce humaine en
manger est donc une possibilité à prendre
sérieusement en considération.
Dans le tiers-monde, qui souffre actuellement non seulement de
carences nutritionnelles générales, mais surtout de
carences spécifiques en protéines, les insectes sont
d'ores et déjà une ressource alimentaire non seulement
rentable, mais même indispensable et irremplaçable.
Le problème numéro un dans le monde reste celui de la
faim. Pour le résoudre, nous ne devons négliger aucune
voie. Dès maintenant, scientifiques, nutritionnistes,
médecins et écologistes, nous devons tous nous pencher
ensemble sur la recherche de nouvelles ressources alimentaires.
A mon avis, sur le plan médical, scientifique,
économique, comme sur le plan moral, la réflexion de
l'auteur ne doit donc pas être considérée comme
un amusement intellectuel, mais comme une base de départ pour
une nouvelle approche sur l'utilité des insectes dans
l'alimentation humaine.
Dr Jean de Bonnefon
Docteur en médecine
Ancien Chef de Clinique à la Faculté de Médecine
de Paris
(C.H.U. de la Pitié-Salpétrière)
C.E.S. de nutrition clinique
Président-Fondateur de l'Association nationale des
médecins naturothérapeutes français